Étude de cas : la selle asymétrique de Finou

Finou est une jument comtoise avec une forte dissymétrie, séquelle d’une ancienne blessure. De part sa locomotion particulière, la création d’une selle sur-mesure et asymétrique a été la solution pour permettre au cheval comme à la cavalière d’évoluer en confort. Je vous propose de rentrer dans les coulisses de ce travail atypique !

Un travail en sur-mesure, poussé à son maximum, a permis de concevoir LA selle de Finou : une selle asymétrique.

Les notions de cheval « insellable » et de cheval « inmontable », vous connaissez ?

L’inmontable présente des caractéristiques, temporaires ou durables, qui ne permettent pas de le monter. Pathologies particulières, état musculaire insuffisant, comportement… peuvent en être la raison. Finou aurait pu être dans ce cas, pour cause pathologique et de façon durable. Mais elle a su s’adapter et elle est aujourd’hui parfaitement apte à pratiquer une équitation de loisir.

L’insellable est au contraire parfaitement apte à être monté, mais sa morphologie implique des caractéristiques spécifiques à la selle, au-delà du techniquement réalisable. Finou pourrait être classée ici de part son gabarit et de part ses asymétries marquées associées à une locomotion atypique.

Présentation du cas

Au printemps 2022, Nadine m’a contacté pour un bilan saddle-fitting sur le cas un peu particulier de sa jument, montée alors avec une selle Wintec 2000 wide équipée de l’arcade 3XW (violette).

Le cheval

Finou est une grande jument comtoise de 8 ans, 1,63m au garrot, dos très court, passage de sangle avancé, et avec un parcours un peu particulier. Née dans les estives savoyardes, elle a perdu sa maman et a été grièvement blessée à l’épaule gauche, avec arrachement des muscles sur la zone deltoïde – triceps, sur quasiment toute la longueur du scapula (omoplate). Entièrement remise aujourd’hui grâce aux soins de Nadine, elle garde néanmoins des séquelles marquées.

De son début de vie de poulain orphelin, a découlé une croissance compliquée avec notamment un diagnostic de rachitisme. Même si elle s’est largement rattrapée en taille, elle garde un gros ventre pendulaire et une digestion sensible.

De sa blessure, reste d’importants tissus cicatriciels et une atrophie de l’épaule gauche. Handicapée dans ses déplacements dans un premier temps, elle a appris à compenser et se déplace aujourd’hui aux trois allures et en terrain varié sans problème. Ses fortes compensations impactent toutefois l’ensemble de son corps : hypertrophie de l’ensemble musculaire de l’épaule droite et du grand dorsal gauche, démarche avec un mouvement de bascule atypique, pieds asymétriques en lien avec la répartition inégale de l’appui et de la poussée sur chaque membre…

3/4 avant gauche Finou

3/4 avant droit Finou
vue dorsale Finou
latéral gauche Finou
latéral droit Finou
3/4 arrière gauche Finou
3/4 arrière droit Finou

Problématique selle

La séance de saddle-fitting a montré plusieurs problématiques avec la selle utilisée. En statique, la selle présente un fort déséquilibre vers l’arrière, avec report des pressions vers les lombaires. Ce cas est généralement caractéristique d’une arcade trop étroite. Ici, la selle est équipée de l’arcade 3XW, il reste donc seulement une taille supérieure possible alors que le déséquilibre est vraiment très important. En dynamique, les points de pressions sont clairement positionnés sur l’épaule droite (hypertrophiée) et l’arrière du dos, avec une pression plus marquée sur le côté gauche (hypertrophié aussi). La locomotion de Finou emmène la selle vers l’avant et la gauche : dès la première foulée, la selle tombe sur l’épaule gauche (atrophiée).

La cavalière a du mal à trouver sa place sur cette selle très large, et est irrémédiablement assise de travers. Sentant la selle basculer, elle est en compensation constante. La situation n’est donc bonne ni pour Finou, ni pour sa cavalière. La selle n’est également pas adaptée à la pratique de Nadine qui est une cavalière d’extérieur et souhaite pouvoir prendre un peu de bagagerie pour des sorties à la journée. Vu les asymétries marquées de Finou (et son gabarit !), on pourrait facilement la qualifier de cheval « insellable ». Pour repousser les limites, la solution d’une fabrication en sur-mesure semble la plus adaptée, et peut-être même la seule envisageable.

Une selle asymétrique : de la réflexion à la fabrication

Après un temps de réflexion et la validation vétérinaire de la possibilité de continuer à monter Finou, Nadine m’a recontactée pour me lancer le défi de réaliser sa selle. Les objectifs sont :

  • une selle adaptée et confortable pour Finou, qui reste en place malgré sa locomotion atypique
  • une selle permettant à la cavalière d’être assise droite, dans l’axe, et équilibrée
  • une selle avec un pommeau relativement haut et une enfourchure plutôt fine, pour diminuer la sensation d’écartèlement de la cavalière en selle (cavalière de petit gabarit, sur cheval de gros gabarit !)
  • une selle légère et peu encombrante pour faciliter les manipulations et le transport
  • une selle permettant la fixation de bagagerie légère.

1ère étape : comprendre la morphologie de Finou

Une séance de prises de mesures a permis de mieux comprendre la morphologie de Finou et sa locomotion.

Première difficulté, elle ne se positionne JAMAIS au carré. Cette position statique sert normalement de base à toute prise de mesure et permet d’avoir un cheval droit, dans tous les sens du terme. On peut alors observer et analyser sa morphologie sans le biais d’une mauvaise position, d’un pied au repos ou d’un basculement du poids vers l’avant ou l’arrière-main. Dans la pratique, ce n’est pas simple avec tous les chevaux. Mais pour Finou, il s’agit simplement d’une position contre-intuitive et qui ne serait donc pas du tout représentative. J’ai donc fait le choix de prendre les mesures en la laissant en confort, dans sa posture statique naturelle.

Repérage de l'emplacement des relevés de courbes de dos sur le cheval
Repérage de l’emplacement des relevés de courbes de dos sur le cheval

Le tracé des courbes de dos a permis de confirmer les observations et de mettre le doigt sur quelques détails supplémentaires :

  • dos très court, avec du garrot et des reins hauts
  • garrot très large et asymétrique de part une hypertrophie du trapèze thoracique gauche (muscle à la base du garrot), donc du côté de l’épaule atrophiée
  • asymétrie de toute la ligne dorsale, de part l’hypertrophie du grand dorsal gauche.
profil en long, dos Finou
profil en travers, garrot Finou
profil en travers 2 Finou
profil en travers 3, Finou

2ème étape : la réalisation de l’arçon

Choix du type d’arçon

L’arçon a été choisi sur une base d’arçon de randonnée, le plus adapté à la pratique du couple. En revanche, le dos de Finou remontant fortement au niveau des lombaires et Nadine ne souhaitant pas se charger de beaucoup de bagagerie, nous avons opté pour un arçon sans palettes. Les palettes, « excroissance » de l’arçon à l’arrière du troussequin, permettent de soutenir le pont des sacoches et le charvin sans appui sur la ligne de dos du cheval. Elles répartissent le poids de la bagagerie arrière sur l’ensemble de la surface de portance de la selle. En supprimant les palettes, Nadine pourra toujours emporter de la bagagerie : fontes à l’avant et petites sacoches indépendantes, donc sans pont, à l’arrière. Le volume total possible est inférieur et ne conviendrait pas pour des sorties de plusieurs jours en autonomie, mais il reste largement adapté à des sorties à la journée et à de la randonnée en étoile ou avec intendance. Cela correspond donc aux attentes de la cavalière tout en évitant l’encombrement d’une selle plus longue pour Finou.

Conception de l’arçon

Les courbes de dos, photos et vidéos ont été envoyées à l’arçonnier pour qu’il puisse se représenter au mieux les particularités de ce cas. Après plusieurs échanges, nous avons convenu que l’arçon devrait être asymétrique, d’une part car les dissymétries de Finou seront présentes à vie même s’il y a de petites évolutions, et d’autre part pour pouvoir contrebalancer le mouvement de bascule vers l’avant-gauche transmis par la locomotion de Finou, le travail sur les panneaux apparaissant insuffisant pour rééquilibrer l’ensemble.

Un arçon « de base » a d’abord été conçu, sur-mesure au gabarit de Finou, mais symétrique. A partir des document transmis, le dos de Finou a été recréé à l’atelier, ce qui a permis d’ajuster l’arçon aux dissymétries. De façon générale, les mamelles (partie la plus large du siège) ont été épaissies à gauche et affinées à droite. L’arçon a donc naturellement tendance à se déporter vers la droite, alors que la locomotion de Finou l’emporte vers la gauche.

Le réglage de la bonne épaisseur permet de trouver le juste équilibre pour qu’il reste centré. L’arcade est également travaillée avec une patte d’arcade (partie qui descend de chaque côté du garrot) plus courte et plus avancée à gauche, pour conserver un appui et apporter un soutien avant que la selle ne bascule sur l’avant-gauche. La forme du pommeau est dessinée de façon à masquer autant que possible l’asymétrie, pour l’esthétisme final. Il est aussi un peu plus relevé que le nécessite le garrot de Finou, éloignant légèrement le cavalier de son cheval mais permettant de diminuer l’impression d’une selle excessivement large.

Validation de l’arçon

Une fois l’arçon terminé, il a été expédié à Nadine pour un essai sur Finou, avec des consignes précises pour la prise de photos me permettant de contrôler la bonne adaptation de l’arçon. Cette étape n’est habituellement pas réalisée dans la fabrication d’une selle, mais elle semblait indispensable ici vu la complexité du cas. L’arçon a validé son test et a rejoint mon atelier.

Essai de l'arçon asymétrique
Essai de l’arçon asymétrique (photo : N. HÉE)
arçon asymétrique - vue de face
arçon asymétrique - vue de dos
arçon asymétrique - vue latérale
arçon asymétrique - vue de dessus

3ème étape : la réalisation de la selle asymétrique

Forme générale de la selle : siège et quartiers

Je passerai très rapidement sur la fabrication du siège et des quartiers, qui n’a pas réellement différé de celui d’une selle « classique », du moins sur les étapes purement techniques de travail du cuir, des mousses et de montage. Une partie des gabarits ont toutefois été revus et adaptés à l’asymétrie de l’arçon.

La cavalière a choisi un look atypique, sans petits quartiers, sans avances, et avec fenders. Ce résultat a été dicté par la recherche d’un maximum de légèreté et de simplification de la selle, pour un résultat pratique et efficace en équitation d’extérieur.

Les panneaux (matelassures)

L’étape la plus en lien avec les spécificité de notre cas est évidemment le dimensionnement et la fabrication des panneaux. Comme pour toutes mes selles, les panneaux sont fabriqués par un assemblage de plusieurs épaisseurs et types de mousses sur un support en feutre naturel.

Le dimensionnement des panneaux est l’étape préalable à leur fabrication. L’objectif est de choisir les bonnes épaisseurs aux bons endroits pour :

  • qu’ils épousent parfaitement le dos du cheval (on imaginera la création d’une sorte de moule suivant parfaitement les formes du cheval).
  • qu’ils permettent l’équilibrage longitudinal (choix de la différence d’épaisseur entre l’avant et l’arrière), et latéral (choix des différences d’épaisseurs entre le côté gauche et droit, dans le cas de panneaux asymétriques), l’objectif final étant que le siège soit « à plat » (voir article sur l’adaptation de la selle).
  • qu’ils soient suffisamment épais pour garantir un maximum d’amortis.
  • qu’ils soient suffisamment fins pour une bonne transmission d’informations entre le cheval et son cavalier.
  • qu’ils ne bloquent pas les épaules, même lors du mouvement de bascule du scapula (au levé de l’antérieur, le haut de l’omoplate bascule vers le bas et l’arrière : le dégagement d’épaule permet ce mouvement sans contrainte).
  • qu’ils offrent une surface de contact sur le cheval la plus grande possible .

Avec ses critères en tête, la superposition des courbes de dos et des courbes de l’arçon permet de calculer les différentes épaisseurs. Sur les courbes, on remarque bien l’inversion de l’asymétrie de l’arçon par rapport au dos de Finou. C’est ce qui permet de contrebalancer le glissement de la selle vers l’avant-gauche en dynamique. Les panneaux viennent combler l’espace dos-arçon et maintiennent ainsi la position et un contact constant. Dans le cas de Finou, les panneaux sont asymétriques pour « lier » la dissymétrie du dos et de l’arçon.

courbe de dos et d'arçon
courbe de dos et d'arçon
courbe de dos et d'arçon
courbe de dos et d'arçon

Une fois les épaisseurs définies, on choisira les différentes couches de mousses à superposer en chaque point. Chaque couche est ensuite découpée, collée, puis travaillée à la ponceuse pour que les jonctions viennent se fondre l’une dans l’autre sans aucune surépaisseur. Le « sculptage » se termine sur la couche extérieure, avec la finalisation des derniers détails.

Si l’on compare les deux panneaux de la selle de Finou, le droit est plus épais que le gauche (de 3mm à l’avant et à l’arrière, et de 6mm au centre). Le droit possède un dégagement d’épaule (sur l’épaule saine) contrairement au gauche (épaule atrophiée). Ces différences et les différentes couches de mousses utilisées sont bien visibles sur la photo.

Les panneaux sont ensuite enrobés de veau avant d’être montés sur la selle. C’est au cours de cette dernière étape de montage que ce fait le réglage de la largeur de la gouttière (partie vide sous la selle entre les panneaux, pour libérer intégralement la ligne de dos). La gouttière sera ici plus large que sur les selles « standards », pour correspondre à la morphologie de Finou. La selle est alors terminée !

panneaux asymétriques en mousses sur support feutre
Panneaux mousses sur support feutre, asymétriques

Panneaux mousses VS panneaux laine

Des panneaux mousses, conçus sur mesure et avec des matériaux de qualité, présentent plusieurs avantages en comparaison avec des panneaux laine :

Au moment de la fabrication, pour garantir un résultat parfaitement équilibré :

  • facilité de « sculptage » des panneaux, avec une possibilité de contrôle ultraprécis des différentes épaisseurs.
  • densité automatiquement uniforme en tous points sur un même panneau et entre les deux panneaux.
  • facilité de respect de forme et volume souhaité, avec un travail précis des variations d’épaisseurs sans risque de création d’irrégularités.

Au cours de la vie de la selle, pour plus de tranquillité de l’utilisateur de la selle :

  • pas de tassement ou de déformation dans le temps.
  • pas de création de points durs.
  • pas d’entretien particulier à prévoir par le cavalier.
  • si le cheval évolue, les panneaux restent modifiables et adaptables par moi-même ou un autre sellier maîtrisant le travail des mousses.

L’essai de la selle asymétrique

Au printemps 2023, soit 1 an après ma première visite saddle-fitting et 6 mois après la prise de mesures, j’ai livré la selle à Finou et Nadine. A cette occasion, nous avons pu tester la selle en statique, en dynamique, à plat et sur une zone avec une légère pente.

En statique

La selle est équilibrée longitudinalement et latéralement, les épaules sont dégagées tout comme la ligne de dos, le contact est constant et sans point de pression ou de vide, des deux côtés. La chambre de garrot est suffisante, et l’axe de sanglage tombe à la verticale. Avec une sangle, l’axe de sanglage se déporte légèrement vers l’avant, pour se réaligner avec le passage de sangle anatomique de Finou qui est très court et avancé. L’utilisation d’une sangle demi-lune ou déportée vers l’avant aidera à maintenir le meilleur alignement possible.

En dynamique sans cavalier

La selle reste stable malgré le fort mouvement de bascule induit par la locomotion de Finou. Vu de derrière, on remarque nettement le mouvement de dos qui entrainait la selle initiale un peu plus loin à chaque foulée. Ici la selle accompagne le roulement vers la gauche, mais sans perdre sa place et en restant centrée sur l’axe de la ligne de dos tout au long des foulées. Le mouvement reste impressionnant (et il le sera toujours !), mais la selle ne tombe plus ni en avant ni sur la gauche.

Selle de randonnée
Essai de la selle asymétrique

Avec cavalier

La cavalière est assise droite, équilibrée sur ses deux ischions, le bassin, la ligne de dos et les jambes dans l’axe. En dynamique, elle accompagne le mouvement sans être déséquilibrée et sans ressentir le besoin de compenser. La cavalière ne sent pas « écartelée » comme avec sa précédente selle et ressent clairement la différence d’une assise maintenant à plat. Aucune modification de la locomotion n’est à noter chez Finou, qu’elle soit avec ou sans selle, et avec ou sans cavalier.

Le test de la selle asymétrique est validé !

En conclusion…

Le résonnement et la fabrication de cette selle asymétrique ont été, en soit, assez proches du travail effectué sur les autres selles. Les réflexions ont été poussées plus loin pour comprendre le fonctionnement du cheval et ses répercutions sur la selle, mais la base reste similaire : répartition des forces et équilibrage restent au centre des préoccupations.

Ce travail me conforte également dans ma vision d’un « tout-cheval » : l’état musculaire, la posture et la conformation du cheval doivent faire partie intégrante de la réflexion pour l’adaptation de la selle. Et ses éléments sont intiment liés à son mode de vie, son alimentation, la qualité du parage ou ferrure, l’entrainement…

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Pour découvrir mon travail –> La selle : fabrication sur-mesure et saddle-fitting

Crédits :

Textes, schémas et photos : Céline Gombert – Atelier Alhéna, sauf mention contraire dans la légende.

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